Σημεῖον


 

Pour les péripatéticiens, un signe (σημεῖον) est une prémisse démonstrative, nécessaire ou probable. Pour les stoïciens, il s'agit de la majeure, lemme ou protase, de leur syllogisme hypothétique ou implication. Pour les éléates, du moins en première analyse, c'est l'axiome initial, admis ou proposé, principe de la démonstration.
Ces signes peuvent s'énoncer de plusieurs manières, selon les philosophes éléates. En ce qui concerne Xénophane, les témoignages conservés se rapportent essentiellement un texte anonyme intitulé ΖΞΓ (Pseudo-Aristote, Mélissos, Xénophane, Gorgias, III-IV, 977a-979a). Dans l'un des rares passages conservés de son œuvre De la Nature, soit environ 63 vers, Parménide propose un tableau plus complexe, où l'Un est appelé le "Il est", avec des propriétés apparemment livrées en vrac et sous une forme poétique, mais qu'il reste possible de répertorier selon les signes livrés par les autres éléates (Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 144, 29). Les choses sont plus complexes encore pour Zénon, dont on n'a conservé que très peu de fragments et dont les démonstrations doivent être reconstituées à partir d'une série de commentaires, le plus souvent hostiles, provenant notamment d'Aristote et de ses disciples : sur l'Un (Platon, Phèdre, 261 d ; Platon, Parménide, 128 b ; Aristote, Réfutations sophistiques, X, 170 b 19 ; Eudème, Physique, frgt. 7, cité par Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 97, 12 ; Aétius, Opinions, I, VII, 27 ; Jean Philopon, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 42, 9 ; Elias, Commentaire sur les catégories d'Aristote, 109, 6 ; Proclus, Commentaire sur le Parménide, 594, 23) ; sur l'immobilité (Platon, Phèdre, 261 d ; Aristote, Topiques, VIII, VIII, 160 b 7 ; Diogène Laërce, Vies des philosophes, IX, 72 ; Elias, Commentaire sur les catégories d'Aristote, 109, 6) ; sur l'illimité (Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 140, 34) ; sur le semblable (Platon, Phèdre, 261 d ; Proclus, Commentaire sur le Parménide, 594, 23)... Par chance, en plus du texte du Pseudo-Aristote critiquant les thèses de Mélissos, il existe une citation du philosophe reproduite par Simplicius, très utile à la compréhension de ces signes (Pseudo-Aristote, Mélissos, Xénophane, Gorgias, I-II, 974a-977a ; Simplicius, Commentaire sur le Traité du ciel d'Aristote, 558, 19).

Xénophane de Colophon :
  1. Éternel : s'agissant de Dieu, il est impossible que si quelque chose est, il provienne. Éternel est donc pour cette raison Dieu.
  2. Un : si Dieu est le parfait dominateur de toutes choses, il convient qu'il soit un. Si Dieu est et est tel, Dieu est un seulement.
  3. Semblable : en tant qu'il est un, il est semblable en toutes ses parties.
  4. Ni limité, ni illimité : il n'est pas illimité et n'est pas limité, car il ne saurait ressembler ni au non-étant, ni aux plusieurs.
  5. Ni mobile, ni immobile : cet Un ne se meut pas et n'est pas non plus immobile. C'est ainsi qu'en tout lieu se trouve être Dieu, éternel et un, semblable et sphérique, ni illimité ni limité, ni au repos ni en mouvement.

Parménide d'Élée :
  1. Éternel : on ne peut lui assigner d'origine, il ne peut provenir du non-être, il échappe à la génération ; il est dépourvu de fin ; jamais il ne fut et jamais il ne sera, au présent il est tout entier ; il ne peut naître ou périr ; son naître s'évanouit et sa disparition apparaît impossible ; il est sans commencement et sans fin.
  2. Un : il est formé tout d'une pièce ; il est un et continu ; il n'est pas divisible, il est en entier ; il ne peut avoir quelque chose en plus ou en moins qui s'opposerait à sa cohésion.
  3. Immobile : il est là en lui-même, immobile en son tout, pris dans les limites de formidables liens.
  4. Semblable : identique à lui-même, en lui-même il repose ; partout, il s'égale à lui-même ; il est tout rempli d'être ; rien d'autre n'est et ne sera à l'exception de l'Être et l'on chercherait en vain le penser sans son être.
  5. Limité : l'Être ne saurait se dispenser de fin ; il est de toutes parts bordé et achevé comme une balle en parfait équilibre ; en toutes directions, il touche à ses limites.
  6. Immuable : il est absolument et tout entier inviolable ; aucune variation ici ou là n'existe ; il ne peut s’accroître ou s'ajouter, il n'y a pas d'être en plus ou en moins ; il est exempt de tremblement et de destruction.

Zénon d'Élée :
  1. Un : c'est l'Un qui existe ; l'Être est un du point de vue de la forme, si c'est l'Un qui est ; l'Un et l'univers sont dieux ; toutes les choses ne sont qu'un.
  2. Immobile : l'Être est immobile ; ce qui se meut, ne se meut ni dans le lieu où il se trouve, ni dans le lieu où il ne se trouve pas ; le mouvement est impossible.
  3. Illimité : si l'existant n'avait pas de grandeur, il n'existerait pas... (démonstration de l'illimité selon la grandeur, d'après Simplicius).
  4. Semblable : les mêmes choses sont à la fois semblables et non semblables ; or, il n'est pas possible que le même soit à la fois semblable et dissemblable...

Mélissos de Samos :
  1. Éternel : si quelque chose existe, ce quelque chose est éternel, car il ne se peut faire que rien provienne du néant.
  2. Illimité : étant éternel, ce quelque chose est illimité, car il ne comporte pas de principe d'où il proviendrait, ni de fin qui constituerait le terme de son devenir.
  3. Un : Mais ce Tout est, bien qu'illimité, un : car s'il était plusieurs, ceux-ci constituerait une limite les uns pour les autres (signe majeur).
  4. Semblable : étant un, ce quelque chose est semblable en tout point, car s'il était dissemblable, il serait plus qu'un et ne serait plus un, mais multiple.
  5. Immobile : l'Un, étant éternel, immense et semblable, est immobile : car il ne saurait se mouvoir sans aller vers quelque lieu, mais le plein ne saurait recevoir quelque chose et le néant n'est rien.
  6. Immuable : étant tel, l'Un est exempt de souffrance, sa position n'est sujette à aucune remise en ordre, sa forme à aucune altération et à rien d'autre il ne se mêle car, sinon, l'Un deviendrait multiple, ce qui engendrerait le non-être et détruirait l'être.

Quelques points sont à relever.
On note quelques différences entre les quatre philosophes, qui résultent probablement de l'évolution de l'éléatisme en plus d'un siècle et où il faut voir, notamment, la main de Parménide : dans la distinction indispensable entre les deux voies, l'opinion et la vérité, ayant conduit au rejet définitif du mouvement du point de vue de la vérité ; dans l'ajout de l'absence d'altération, oubliée, semble-t-il, par Xénophane ; dans un nombre variable de signes et un ordre à chaque fois différent, correspondant probablement à une argumentation qui a dû évoluer par étapes, pour répondre aux critiques venues d'autres courants philosophiques. Le concept d'illimité, surtout, a suscité diverses hésitations, ce qui a conduit chaque éléate à élaborer sa théorie personnelle : Xénophane considère que l'Un n'est ni limité ni illimité ; Parménide, imaginant l'Un comme sphérique, au moins symboliquement, lui donne forcément des limites ; la position de Zénon sur ce sujet n'est pas claire ; quant à Mélissos, il prétend que l'Un ne saurait être éternel sans être par là même illimité.
Selon Xénophane, l'ensemble des signes se rapporte à Dieu : « Si du moins Dieu est et est tel, Dieu est un seulement » (Pseudo-Aristote, Mélissos, Xénophane, Gorgias, I-IV, 974a-979a). Dieu est généralement appelé l'Un : « Cet Un qui est tel, dont il dit qu'il est Dieu » (Pseudo-Aristote, Mélissos, Xénophane, Gorgias, I-IV, 974a-979a). C'est probablement pourquoi, le signe 3 de Mélissos, correspondant au signe 2 de Xénophane, est le signe majeur : « Il est seulement un » (Simplicius, Commentaire sur le Traité du ciel d'Aristote, 558, 19). Pour les éléates, Dieu est incorporel (Clément d'Alexandrie, Stromates, V, 109 ; Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 109, 34). Parménide ajoute que rien n'est et ne sera jamais en dehors de l'Être, ce qui revient à dire que la réalité matérielle, qui relève du monde sensible et des apparences, est illusoire (Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 144, 29).
Il en résulte qu'en considérant ces signes uniquement comme des axiomes, on se condamnerait, sans doute, à rester pour l'éternité à la surface des eaux. Posés métaphysiquement, en tant que simples hypothèses initiales, ils peuvent s'interpréter formellement de deux manières, selon le domaine que l'on privilégie. D'un point de vue ontologique, celui suivi par la plupart des spécialistes qui prennent Parménide comme principal repère, la réflexion sur l'un est d'abord et principalement une recherche sur l'être. Sur le plan théologique, l'Un ne saurait être que le Dieu unique des éléates, ce dont on ne peut douter en décryptant les démonstrations avancées par Xénophane. Vu sous cet angle, les signes éléatiques sont manifestement avancés en lieu et place de ce que les autres religions présentent habituellement, de manière plus rigoriste, comme des dogmes. Il ressort de ces 6 signes que les éléates sont monothéistes : ils croient en un Dieu unique et éternel, qu'ils nomment le plus souvent l'Un. Les signes en question tiennent donc une place fondamentale dans l'éléatisme.





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