Ὁδός


Parménide explique, dans son ouvrage De la Nature, qu'il existe deux manières de comprendre le monde : une voie (ὁδόϚ) pour la vérité (ἀλήθεια) et l'autre pour l'opinion (δόξα).
La première question à se poser, lorsque l'on a affaire à un fragment de texte éléatique, est donc la suivante : l'auteur s'exprime-t-il selon la vérité ou l'opinion ? Ne pas prendre en compte l'existence de ces deux voies expose inéluctablement le lecteur à de lourdes méprises. Ceci, d'ailleurs, explique une bonne partie des erreurs d'interprétation des historiens de la philosophie et c'est bien pourquoi, dans la confusion générale, il seraient très difficile de trouver deux spécialistes ayant la même opinion sur quelque détail que ce soit, ces malentendus ayant d'ailleurs commencé dès l'Antiquité.
On pourrait en donner de nombreux exemples, mais il suffira d'en emprunter un à Xénophane. Voici comment l'un des textes parmi les plus importants sur l'éléatisme rapporte la manière dont le philosophe présente sa conception de Dieu selon l'illimité (signe 4) : « Étant semblable partout, il est sphérique, car il n'est pas tel ici et non tel là, mais partout. Étant éternel, un et sphérique, il n'est pas illimité et n'est pas limité, car c'est le non-étant qui est illimité » (Pseudo-Aristote, Mélissos, Xénophane, Gorgias, III-IV, 977a-979a). S'il faut en croire ce texte, Xénophane nous livre donc l'image d'un Dieu qui, tout en étant sphérique, n'est ni limité ni illimité. Or, la sphère est un corps limité, qu'elle soit physique ou mathématique. Quelques auteurs en ont déduit que Xénophane professait un scepticisme absolu et que, par conséquent, son Dieu ne serait proposé qu'à titre de simple hypothèse théologique. Mais il n'est pas utile d'élaborer ce genre de théorie pour résoudre le problème, les deux voies offrant une solution beaucoup plus logique. Si l'on suit la voie de l'opinion, Dieu est symboliquement sphérique et "gonflé à l'instar d'une balle bien ronde", selon la métaphore poétique de Parménide (Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 146, 29) ; alors que du point de vue de la vérité, étant incorporel, il échappe ainsi à la distinction entre limité et illimité (Clément d'Alexandrie, Stromates, V, 109 ; Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 109, 34).
Reste à définir plus précisément ces deux voies, dont Parménide propose une évocation poétique :
1. La voie de l'opinion : "Écarte-toi de l'autre voie : c'est celle où errent des mortels dépourvus de savoir et à la double tête." (Parménide, De la Nature, cité par Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 78, 2. 117, 2) ; "On ne pourra jamais par la force prouver que le non-être a l'être. Écarte ta pensée de cette fausse voie qui s'ouvre à ta recherche." (Parménide, De la Nature, cité par Platon, Le Sophiste, 237 a).
2. La voie de la vérité : "Mais il ne reste plus à présent qu'une voie dont on puisse parler, c'est celle du Il est" (Parménide, De la Nature, cité par Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 144, 29).
Il s'agit donc tout d'abord de poser que seul l'Être, ou l'Un, est ; car envisager la réalité des multiples supposerait que le non-être, c'est-à-dire le néant, existe : or, le non-être étant par définition ce qui n'est pas, il n'est pas !
Mais la distinction entre les deux voies oblige à pousser le raisonnement beaucoup plus loin. Simplicius est sans doute le commentateur antique qui a le mieux compris à quoi il avait affaire. Évoquant les éléates, il précise : « Ces célèbres penseurs posaient la réalité d'une substance double : l'une étant celle qui est au sens fort de l'être, à savoir l'intellect, l'autre celle de ce qui est engendré et sensible, dont ils n'estimaient pas qu'elle puisse être dite au sens absolu, mais simplement un opinable. C'est pourquoi il (Parménide) déclare que l'Être est la vérité et l'engendré l'opinion. » (Simplicius, Commentaire sur le Traité du ciel d'Aristote, 557, 20). Élias ajoute : « Parménide, dont la thèse était que l'Être est un du point de vue de la forme, alors que les existants sont multiples du point de vue de l'évidence sensible... » (Élias, Commentaire sur les Catégories d'Aristote, 109, 6).
Il en résulte que la voie de l'opinion correspond à la prétendue réalité physique : celle des sensibles, des engendrés et des multiples, donc forcément illusoire. Parménide la condamne définitivement comme étant celle de la "foule inepte, pour qui être et non-être sont pris pour tantôt pour le même et tantôt pour le non-même" (Parménide, De la Nature, cité par Simplicius, Commentaire sur la Physique d'Aristote, 78, 2. 117, 2). Reste la voie de la vérité, qui est celle de l'intellect et de la logique, du "Il est", c'est-à-dire de l'Être, ou de l'Un pris au sens absolu, donc de Dieu, seule réalité envisageable dans le cadre de la philosophie parménidienne.

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